Mes phrases n’ont pas d’appui pour vivre.
Elles planent au dessus d’un fatras de pensées roulées dans la farine avec des miettes de mots dont certains affectés d’une anémie chronique tiennent une valise à la main.
Ce sont des instantanés sans queue ni tête.
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S’endormir à minuit pétantes et repérer vingt chamelles.
Le sable viendra après, puis le Hoggar.
Compter ensuite trois ressacs par litre d’écume.
Installer mille billons floconneux dans une forêt carrée.
Recouvrir le mulet avec une mule.
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L’observation du plafond
est en soi un moyen détourné
de réclamer l’indulgence
pour une pensée volatile
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Passeur de rêves, un bon job, mais celui qui se fait prendre devra rendre compte de ses espoirs marchands - être payé cash - pour imaginer mieux et plus cher. L’exercice est si périlleux qu’il peut tourner au cauchemar.
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Michel Ménaché : "Dédié à Nicole, l’épouse disparue, "Le ralentissement du tempo" est un livre des blessures. Mais pour Jean-Pierre Gandebeuf, l’abandon à la démangeaison élégiaque serait dévastateur, une faute de goût rédhibitoire... Tourmenté par le deuil et la maladie, il refuse de céder au désespoir. En son écriture du sursaut, la pudeur opère en finesse la fusion de l’émotion souriante et de la dimension tragique. L’auteur cultive de plus en plus « le silence tiré à quatre épingles ». Le trait d’humour jette un masque léger sur la douleur, transmue la souffrance intime en offrande. Le plaisir du poème chez lui ne se conçoit que dans le partage, tel ce clin d’œil métaphysique sur notre précaire condition : « C’est vrai / à l’allure où l’on passe / je vois bien / qu’on ne meurt pas / on s’étire. » L’insolite s’invite, s’insinue en douce, révèle une correspondance subtile entre l’image et la pensée, prépare la chute : « Vieillir / obéit à des lois invisibles / pour l’homme / les mêmes que celles du pommier / mais pour l’arbre / le verger est une chambre d’hôtel / et le fruit blet / une fin de non recevoir. » Pour résister aux ravages de l’âge, à l’usure des facultés, d’infinies précautions se déclinent sur le mode de l’humour gris tendre, en pirouettes nonsensiques : « Il avait fait un nœud / à sa respiration / pour être sûr / de ne pas oublier sa vie... » Et quand il passe à table, en gourmet averti, le poète admet avec candeur ( !) que « l’ail n’est pas seulement / le suppositoire de l’agneau. » On l’aura compris, ne pas se prendre au sérieux, tout en retenue, avec une extrême concision, est la règle de vie et de création de Jean-Pierre Gandebeuf. La poésie est d’abord pour lui affaire d’amitié, besoin impératif d’échanges à pages ouvertes : « Entre poètes / on se passe le mot // l’un fera bouillir les voyelles / en souvenir d’un deuil sous la pluie // l’autre repoussera les consonnes du pied... » Avant de tourner court, méditer dans l’entre-deux. Le doute taraude l’urgence ou la volonté de garder trace, maintient l’ego à distance : « Combien de volume de soi faut-il / pour faire un tout admissible... » Il convient encore de saluer le soin attentif de l’éditeur et surtout de souligner la beauté ténébreuse des gouaches hallucinées de Francis-Olivier Brunet en regard des textes à l’aigre-doux d’un poète « blessé mais encore vivant. » Et si proche... " (revue EUROPE, numéro 996)
• ISBN : 978-2-35128-071-3
• format : 16 x 24 cm
• pages : 112
• illustrations : une quinzaine de gouaches de Francis-Olivier Brunet
• PARUTION : septembre 2011
19.00 €